CASE 41 : LES MÊMES, LA FERMIÉRE
Une fermière est debout une case avec une oie. Elle fait le geste de donner à manger à ses oies.
LA FERMIÉRE : Petits, petits, petits...
LA MENDIANTE : On va enfin pouvoir manger...
L'ÉPOUSE DE L'ARBRE : Moi, je suis végétarienne.
LA PROSTITUÉE : Moi, je préfère la cuisse.
LÀ CONCIERGE : Combien vous les vendez ?
LA FERMIÉRE : Mais elles sont pas à vendre !
LA TERRORISTE (Elle ressort son arme.): On est jamais si bien servi que par soi-même. (aux oies imaginaires: ) Les mains en l'air, les oies !
L'ÉPOUSE DE L'ARBRE : Je croyais que c'était un faux. Rangez votre jouet ! Elles vous ont rien fait, ces oies!
LA FERMIÈRE : Elles sont si mignonnes.
L'INGÉNUE : Mais alors, pourquoi élevez-vous des oies, si ce n'est pas pour les manger ?
LA FERMIÈRE: C'est parce que je les aime.
LA PROSTITUÉE : Moi aussi, je les aime. Surtout la cuisse.
SONIA (à la saltimbanque) : Alors, c'est donc ça qu'on gagne ? Pas à tous les coups d'ailleurs. Quand j'étais petite, je me souviens qu' on pouvait gagner des oies dans les loteries.
LA SALTIMBANQUE : Oui, c'était le gros lot.
SONIA : Et maintenant ?
LA SALTIMBANQUE : C'est comme le reste, il faut le mériter.
LA MÈRE : Moi, je veux bien me charger de la plumer.
LA FERMIÈRE : Et même, si je vous donnais une de mes oies, vous ne seriez pas plus avancées.
L'INFIRMIÉRE : Pourquoi ?
LA FERMIÈRE : Parce que vous ne pourriez pas aller plus loin...
LA MENDIANTE : Au moins nous aurions de quoi nous nourrir.
LA FERMIÈRE : Oh oui, je vous gaverais comme mes oies !
LA MENDIANTE : Alors moi, je veux bien rester.
LA SÉDUCTRICE : Ce qu'elle est bête !
LA PROSTITUÉE: Comme une oie !
LA FERMIÈRE : D'abord qui vous a dit que les oies étaient bêtes ? Je vais vous prouver le contraire. Maintenant que vous êtes arrivées sur cette case vous n'avez plus besoin de dés pour continuer. Vous pouvez dire merci aux oies ! Vous pouvez déposer les dés et les laisser ici. Ils ne vous sont plus utiles.
L'ÉPOUSE DE L'ARBRE : Comment ça ?
LA TERRORISTE : C'est la mort qui va être contente, car s'il n'y a plus de hasard, c'est qu'il n'y a plus de vie !
L'INFIRMIÉRE : Excusez-moi ! Et s'il n'y a plus de vie, y a plus besoin de médecin mais plus d'infirmière non plus !
LA SÉDUCTRICE : N'écoutez pas cette intello qui vous parle du hasard ! Elle s'est un peu trop shootée au fruits de l'arbre de la connaissance. L'overdose n'est pas loin. Mes pommes sont à consommer avec modération. Trop d'esprit tue l'esprit !
SONIA : Parce que l'esprit aussi est mortel ? Je ne comprends plus rien.
LA PROSTITUÉE : Y a rien à comprendre ! Elle dit n'importe quoi ! Que vous soyez mortelles ou pas, le plus vieux métier du monde est éternel !
LA SALTIMBANQUE : Diseuse d'avenir, c'est aussi universel que prostituée.
SONIA : Mais s'il n'y plus de hasard, ça signifie donc que l'avenir est écrit d'avance ?
LA SALTIMBANQUE : Pas tout à fait ! Tes directions sont déjà tracées mais rien ne t'oblige à les emprunter. C'est ta façon de lancer les dés qui indique celle que tu vas prendre !
SONIA : Mais alors, c'est encore le hasard ? Et pourtant la fermière nous dit qu'il n'y a plus besoins de dés ? Comment atteindrais-je mon but et d'abord quel est-il ? J'espérais le trouver de case en case et ne sommes qu'à la case 41. Il y a encore bien du chemin pour arriver au bout du voyage que je n'imagine pas sans les dés. Ils m'ont ouvert la porte des souvenirs mais aussi du rêve de l'espoir de l'absurdité, de la peur, de l'impudeur ou de la compassion. Sans les dés, j'aurais tendance à aller droit vers ce que je cherche mais pourrais-je le trouver sans ces détours ?
LA FERMIÈRE : Combien avez vous fait pour arriver ici ?
L'ÉPOUSE DE L'ARBRE : Dix.
LA FERMIERE : Et bien, vous devez avancer encore de dix cases. C'est parce que vous êtes sur une case avec une oie. Ce sont des cases magiques.
L'INGÉNUE : Tant mieux ! Comme ça on ne se disputera pas pour savoir qui lance les dés.
LA FERMIÈRE : Je viens avec vous.
LA MENDIANTE :Á condition d'emmener une oie.
L'ÉPOUSE DE L'ARBRE :Ça suffit maintenant. Allons-y !
L'INGÉNUE : C'est moi la première.
Les autres soupirent irritées et la suivent. Elle compte à chaque case comme si elle craignait de se tromper. Sonia la bouscule.
SONIA : Plus vite! Tu ne sais pas compter ?
La mort met la main sur l'épaule de Sonia d'un geste affectueux.
Extrait de ma pièce " Jeu de l'Oie ;